mercredi 20 août 2008

Le chancre littéraire

La Noyée by Yann Tiersen on Grooveshark

« Le poëte Ponge. Pauvre homme déjà ravagé par le chancre littéraire, il a l'air d'une expérience d'inoculation. »

Journal de Jules Renard, 31 Mars 1902.



Alors, ainsi, n’écrirais-je plus de poèmes ?
Et l’or brûlant,liquide que l’on coule en bouche,
ne vous trahirait plus un seul de mes « je t’aime » ?
D’une rivière, on fait le lit comme on se couche…

J’écartèle les tons de chaque partition,
Afin de retrouver la note la meilleure,
Et que de mes zéros conduits à l’audition,
Eclosent de jolis globules de saveur !

Non, rien ne justifie l’arrêt de l’écriture !
Ni les graffiti qui hantent les parois des cœurs,
Ni les fresques sures de nos âges mûrs,
Ni les puits, ni les peurs, ni les pluies, ni les pleurs.

Non, rien ne garantit la fin des temps verbeux !
Pas même la morsure au sang qu’un chien décrive,
Pas même la mort sûre au bout d’un lien taiseux,
Qui nous lie à la vie, car nos stylos écrivent.

Jamais ne se tarit le courant que l’on veut
Entretenir, flambant, de phrases rédemptrices ;
Jamais ne se tarit l’amour quand tous nos vœux,
Sont pareils à l’airain des plumes dictatrices.

Or, pareille à tes reins, sous ma main caressante,
La page s’endocile à mon long serpent d’encre,
au poids d’une mesure, à son tour consentante,
elle offre sa peau glabre à l’insertion d’un chancre.

La belle maladie à la veine aérienne !
Elle couve en nos cerveaux comme en un saint sépulcre,
Puis s’envole à nouveau, en ouvrant ses persiennes,
ces ailes sur les yeux, papillon sur un sucre.

Qui prétend qu’aujourd’hui, les passions s’effilochent ?
Que les déliés et les pleins avalés sont perdus ?
Que le fleuve ne coule aux métaux que des cloches,
Qui sonnent enrhumées de leurs glas éperdus ?

La phrase a le pouvoir de transformer le monde,
D’envelopper un cœur, une bouche, cerise
Gouttant de tous ses jus, chassant la bête immonde,
La phrase a le pouvoir de changer l’aube grise.

Si un jour je me tais, si ma voix sédimente,
Qu’en matière de ligne, il n’y ait qu’épitaphe,
Que de mon souvenir, se berce mon amante,
Conscient d’avoir vécu pour quelques paragraphes.