dimanche 15 novembre 2009

Hécatonchires



Il me tarde de reprendre le train
le train des convenances
le train des choses
le train de la vie
le train-train, quoi, comme on fait coin-coin
dans chaque arrondissement de Paris
mutuel, urbain,
bonjour, bonsoir
le train des solitudes dérisoires
et des automnes qui précèdent les hivers
puis les printemps de renaissance.

Ma vie commença par le lien ténu
d'une voie ferrée
cordon ombilical d'un monde à sa mamelle
suce-pendu, aux confins de l'occident
qui tranche le soleil, le soir
de sa lame de rasoir.
Ma vie commença par le pari osé
de distendre, au sein du même fuseau horaire
l'identité nationale.
Malheur à qui écoute Mahler
en rameutant
de tels souvenirs géographiques.
De cette démarche Commune
on s'emmure du fait d'errer
sur les parterres de coquelicots et de bleuets
des vers d'un fort d'où « aimons-nous »
est un euphémisme grippal.
Et pourtant
en partant
sur les chemins d'amasse-poussière
sur les travées mérulées d'enfances céruléennes
comptabilisant les traverses mercières
de nos reprises sur un pantalon troué
de chutes enfantines
nous retissons
Bayeux
Aïeux
des scenarii qui mènent à des potences
de vélos
et des synopsis sur des palimpsestes qui n'ont pas eu de pot.

La voix Ferré
je reprends donc le récit :
parfois, il m'arrive de voir dans le vaste réseau de rails qui couvre le Monde
une sorte de polichinelle articulé
où chaque lieu dépend d'un autre
un théâtre de Guignol étant son propre marionnettiste
les entrelacs complexes d'une mécanique huilée par le flux des humains
au sein de fils à couper le labeur.
Babel existe !
Nous l'avons bâtie !
Mais elle ne nous a nullement rapproché du Dieu pour lequel nous nous sommes pris...
Elle n'a finalement fait que nous rapprocher de nous
enfin des autres
pour autant qu'on cessât de les ignorer
et de ne voyager que pour découvrir l'endroit
et non les gens qui le peuplent.
Vous êtes-vous déjà demandé
COMBIEN
de jours, semaines, mois ou années
vous aurez passés dans votre vie à joindre un point à un autre ?
A pied, à cheval, en voiture, en train
ENTRAIN
?
Vous êtes-vous demandé SI
entre naître et mourir
nous ne faisions
jamais que, finalement
établir une jonction ?
Et que les pointillés dont se composent nos vies
— métro
dormir
aimer
divorcer
manger
chier
thésauriser
construire
détruire
théoriser
carrièrer
couler
pisser
boire (ah, boire !)
baiser
enfanter
accoucher
élever
vieillir
perdre
partir
métro —
se remplissent d'un vide qui ressemble à la mort ?
Vivre ne serait donc que s'efforcer à resserrer ces pointillés
comme les trains s'époumonent à écourter la succession des traverses
et les temps musicaux entre chaque jointure de rail.

Ou bien alors
vivre serait remplir ces vides
d'une conscience suprême du voyage
dans la moindre des onces de son temps
dans le moindre de ses silences
dans le moindre intervalle mélodique du cht-cht
des roues
des pans
de nos parcours impersonnels.
Soufflant la buée sur la vitre
afin que nos doigts violent sa virginité neigeuse
pour l'ECRITURE
OUI !
Jusque sur la vitre des voyages ennuyeux
puisque les vies de nombreux sont des voyages ennuyeux
nous comblons des fossés de non-être
par des bêtises éphémères mises à l'index
de la peur du vide.
Nous sommes la même entité à cent mains
badigeonnant de sept à cent-vingt ans
les mots du genre humain
sur les carreaux illustrés
de poétiques plaques métalliques
les dénominant en langages européens
de
« Nicht hinaus lehnen »
« E pericoloso sporgersi »
« Do not lean out of the window »
« Il est dangereux de se pencher au dehors »
Telle est la poésie du voyage en train
résumée en ce seul quatrain.
Et ses lecteurs
écrivains digitaux
comme à Lascaux
confient leur lenteur
aux confusions hécatonchires
gardant le monde des enfers
et du chemin de fer
et de tant de tags
puisqu'en germain ça veut dire « jour ».

Ma vie commença par le lien ténu
d'une voie ferrée
comment faire « eh ! »
lorsque nous tous on continue ?

3 commentaires:

Morgan a dit…

A perte de vue, ta voie ferrée, ta voix férue.
Sur ces rails éraillés d'émois, je me penche pour mieux percevoir les vibrations de l'âme, notamment quelques allusions enfantines que je crois saisir...

Michel P a dit…

Je te remercie, Morgan, de manifester ta présence sur ce texte comme sur le précédent, car cette libération de mon poème te doit beaucoup...

Anonyme a dit…

" ¡ Vaya hop! " " ¡ Fay lo que vouldras! … ¡ Fay lo que vouldras! " ¡ Haz cualquier cosa, pero para que salga de eso de la alegría! ¡ Haz cualquier cosa, pero que esto da el éxtasis! Tantas cosas bullen(se mueven) en mi cabeza cuando me digo esto:
« eh ! »
Inclínate tú por la ventana.