dimanche 19 septembre 2010

Châteaulin (texte versifié)


Afin de voir le calligramme correspondant, cliquez ici.


Tout au bout du canal allant de Nant' à Brest,
tel un dernier fanal au bord d'un gouffre (l'eau),
elle a posé l'écluse en un poing sur le reste,
comme une ultime excuse à ce dernier sanglot.

Sont bien des théories pour expliquer son nom !
Mon récit favori, c'est du glorieux Alain
qui aux trop ambitieux sut imposer son non
et régner sous les cieux de Dol à Châteaulin.

Il ne subsiste rien de son puissant château,
si ce n'est – aérien – son rocher millénaire,
une tour éventrée tel un gisant bateau
et les murs dits « du diable » en onde circulaire.

Les anglais l'ont brûlé tant fuyant Duguesclin.
Il fut démantelé par la suite, os par os,
pierre par pierre, amont découlant du déclin,
mais la ville a le nom de ce fort si féroce.

D'autres pensent aussi aux artisans du lin,
du tissu dont on fit des gréements d'albatros
aux grands oiseaux cinglant en bordure du loin,
sans saint Glin ni saint Gland pour les bénir de crosses...

Puis la ville a vieilli aux carrefours extrêmes
d'une région cueillie par la queue pourrissante
d'un bout du monde austère où n'est plus monotrème
qu'un curieux mammifère aux terres finissantes.

Il y eut Jean Moulin, sous-préfet d'avant-guerre,
à jouer les plus malins, soulignant d'un trait rouge
pour des états majeurs d'immatures « naguère »,
pour les mauvais nageurs, ce gué dont l'Aulne bouge.

Rivière serpentine où la tête est à l'envers,
ta courbe m'entêtine à l'image d'un sein,
ma bouche s'est nichée dans le creux de mes vers
afin de les tirer du nez du raz de Sein.

Et le canal, patient, roucoule imperturbable,
sous leurs coefficients les marées l'investissent.
Du grand ogre Saint-Louis sort encore un cartable,
l'écrouelle éblouie que la vie rapetisse.

L'ordinateur consacre un très saint Idunet,
la chapelle qu'on sacre en est d'autant marrie,
le marché du jeudi fait toujours place nette
aux quais peuplés – je dis – de tristes méharis...

J'ai laissé la moitié de mon cœur par ici :
dans l'un de ses quartiers à l'humeur parricide,
j'ai laissé ma moitié sur scène parisis
d'un fleuve tout entier et de quelques absides.

Mais lorsque je reviens sur les rives de l'Aulne,
je me sens souvent bien, appaisé, déconstruit ;
je repense à Fournier, aux légos du « Grand Meaulne » :
tu auras beau te nier, seule la vie t'instruit !

Or le viaduc surplombe un tout en sens unique.
Le gris nuage plombe une onde dédaigneuse.
Le pont l'enjambe aussi – cavalier harmonique –
et leurs dos indécis taisent la note hargneuse.

Mon fils pêche une perche un rien si moins tendue
que son fil qui me cherche au télégraphe ardent.
Ma fille enquiert sa marche inouïe des sons ardus
des clapotis d'une arche aux eaux la cascadant.

Et Châteaulin grandit des gens qui, l'habitant,
font sourdre des non-dits quelque autre vérité
des brochets embrochés, des saumons ruisselants,
des sandres sans crochet de sabres hérités.

Un jour je partirai. La ville sera close.
Mes yeux seront fermés aux boucles du canal.
Comme dans tout divorce il y a force clauses :
j'écrirai sur l'écorce où le trait n'est qu'annales.

Là, je raconterai la geste d'un amour :
la geste incinérée comme un château régent
trônant entre des ponts sur le grand fleuve Amour
et sur le vain répons du grand Alain Fergent.

À la croisée des chemins, en pénétrant Crozon,
on passe Châteaulin sans savoir de quel mal
on tatoue doucement ses lignes d'horizon :
en lignes tout se ment, ce lieu m'est animal !

Aucun commentaire: