samedi 31 août 2013

Marseille



Je zyeutai Massilia du dix-huitième étage !
Près du Boulevard de Plombières
et de ses toboggans routiers surréalistes
tandis qu'aujourd'hui rien ne plombe hier
Je zyeutai Marseille et m'en faisais ma liste.
las
son décor m'inspirait, d'évidence :
avec ses pains de suc
mis en Garde alors que son corps couvé d'eau
se répandait jusqu'à la mer, comme une énième tâche
grouillante à mes pieds
comme des pas de danse
comme des petits morceaux de stuc
épandus au petit bonheur la chance
mêlant le bidon-ville à l'immeuble high-tech
le HLM au pavillon
l'oreille aux doigts de pied
et les montagnes aux ports, plages et discothèques
rameutant les clochards à coups de carillons
et se faisant jumelle de Rio de Janeiro
Je zyeutai Massilia du dix-huitième étage !
Etait-ce ainsi de me sentir grandi
que je la sentais si petite et confinée
oppressée dans sa baie tournée vers le port
qu'on lui fit confit-né
ou vers le mauvais sport
qu'en ce lieu chaque rue suinte de l'eau, aime
un apéro pastaga très dilué
qui te fout les boules
les balls
et le fouteubolleuh !
Etait-ce ainsi de me sentir Gandhi ?
Alors que j'étais en petits morceaux de stuc
comme une mosaïque
et en petits pourceaux de sticks
comme un vilain moustuque.
Et bien, je me raccommodais depuis ce dix-huitième étage
je me patchworkais avec du fil d'enfer
quoique là ne coulait pas le Tage
Mais entre Lisbonne et Rio
Entre le portugais et le plus rien à faire
autrement qu'un accoutrement qui nous siée (pas "qui nous seille")
il y a la planète Marseille !
Et dans cet incommensurable melting-pot
je me suis mis à aimer d'Amour cette improbable et folle Cité
dont chaque mur à chaque graffiti dépote
et nous invite à vivre de vers et de mendicité !
J'ai tant aimé l'Estaque
et sa plage surplombée de sa quatre-voies
et ses canons en bikini
et ses marées barométriques
petits seins qui filent la trique
à mes fluxions de Luchini
trémolantes en ma voix
et s'échouantes en laisse Trac !
J'aime et j'aimais le cœur de Massilia :
je l'ai traversé dans ma voiture
- pour un non-marseillais, quelle aventure !
(Souvenir qu'on aima, s'il y a...)
Dans les souks chinois
nous nous parions de soie noire
et le bleu des yeux était une insulte aux méditerranéennes.
Les fontaines coulaient de Rimmel dans les rues
dans les quartiers nord, j'étais le bienvenu
les fonds de teint coulaient du Rimbaud
et de ses splendeurs érythréennes
sur le khôl des beautés marseillaises
et sur l'alcool de nos plaies béantes
nos muses divines sont bien aise
pour peu du fantôme qui les hante.
J'étais bien en rupture
au dix-huitième étage
un peu comme un alpiniste
un peu comme Hannibal hors de Carthage
avec des éléphants qui trompent
et n'ont rien de doux hédonistes
et n'ont rien à mettre en partage
sinon, point de suture !
A Marseille, j'ai marché comme sur un Pôle en débâcle
et sur ses glaçons dans un moteur où tout renâcle
sur les apéritifs ourlés d'écumes anthracites
et sur tes lèvres où ma bouche ouverte entre à tes sites.
J'étais aimant
Au Prado, j'étais devin
j'y mariais l'or et le vin
le vin rouge et l'or blanc
c'était onze ans avant...
Onze ans plus tard, je revins
par le couloir rhodanien
puis par le train du mien
qui démêla les chevaux-vapeur morts d'épuisement sur la route d'un premier aller-retour
via Lodève et Millau et les volcans d'Auvergne
et la Loire autour
et la Nantes de Julot Vernes
mais je revins dans le quartier du Prado
– celui dans lequel on s'endort le matin de longs voyages achevés
(comme les chevaux)
et sur lequel on veille en des soirs qui nous semblent d'éternité
mais qui le sont pour ma mémoire
du temps que je me pensais poète –
puis dans celui de Saint-Barthélémy
Bagatelle pour un massacre
martyre écorché vif et crucifié, décapité
d'où je vous contemplais du dix-huitième étage.
Alors, bien sûr, espoir :
j'ai bien franchi les courbes isohyètes
qui conduisait jusqu'à la Garde, et les mis
dans mes poches-revolver
parce qu'à l'arrêt faut l'faire
et reprendre un peu conscience des beautés que l'on consacre
à notre façon d'essayer de vivre
et de traquer nos propres vouivres...
C'est ainsi que je me souviens des fontaines
de la place du palais de l'injustice
et des terrasses ensoleillées
– fond de tain sur nos antennes
avec leur demis-dépression –
de lieux communs en frontispice
je me souviens des rues piétonnes
du cours Belsunce et d'autres où se frayer
un chemin dans mes voix bretonnes
qui ne purent s'en effrayer.
J'ai quitté Marseille en descendant d'un dix-huitième
Je n'en ai jamais su le nombre d'arrondissements
mais celui de ses étages
celui dont je vous fais partage
fut vers le ciel celui des marches de ciment
qui m'ont scellé dans Phocée la pénultième.

2 commentaires:

marie-cécile a dit…

Il est superbe. Un véritable exil, ex-ilium, un bannissement. Autant horizontal que vertical. On sent au lieu une étrangeté véritable. Celle de la ville que l'on découvre comme une pièce de son cerveau jamais ouverte... Marseille, ici, me semble lointaine, comme une ville d'orient, alors qu'elle m'est si proche. Si familière, même si je la connais mal. Elle est comme une projection d'un de mes intimes. Chez toi, je la découvre tellement exotique...

Michel P a dit…

C'est comme je l'ai vécue, exactement. Mais c'est vrai que parfois ma vie tourne au roman. Qu'y puis-je ? Porque te vas ?